La vie en 3D
Cet article a été écrit par Christian Doherty et publié dans le magazine Innovations n°2.
Stimulateurs cardiaques, pistolets, prothèses trachéales, fleurs gonflables : l’impression 3D trouve des applications tous azimuts et pourrait fort bien changer nos vies.
Si l’idée d’utiliser une imprimante pour produire des objets en trois dimensions semble a priori relever de la science fiction, la technologie - dite de fabrication additive – se banalise pourtant à vitesse grand V. Néanmoins, force est de constater que nombre de ces développements restent aujourd’hui marqués du sceau de l’insolite. Si l’impression 3D de fleurs gonflables est techniquement possible, ce n’est pas demain la veille que l’on verra de tels objets dans la vitrine des fleuristes. Globalement, le potentiel de l’impression 3D s’inscrit pour le moment davantage dans une démarche de nouveauté que d’innovation.
Toutefois, la situation est en train d’évoluer et, disons-le clairement, les secteurs de la conception et de la fabrication sont aujourd’hui à l’orée d’une véritable révolution. L’an dernier, le président des Etats-Unis, Barack Obama, a annoncé le déblocage d’un budget de 200 millions de dollars pour soutenir la création de trois instituts d’innovation dans les nouvelles technologies de fabrication, axés sur la fabrication numérique, les matériaux composites légers et les sources d’énergie de nouvelle génération.
Cette annonce a été faite sur fond d’un marché en plein essor : en effet, selon le rapport annuel de Wohlers Associates, on apprend que le marché de l’impression 3D et de la fabrication additive s’est accru de 28,6 % en 2012, ayant atteint 2,2 milliards de dollars (contre 1,7 milliard en 2011), soit une progression annuelle moyenne de 30 %. Toujours selon Wohlers, on dénombre à ce jour environ 8 000 imprimantes 3D à travers le monde, c’est-à-dire 10 fois plus que l’an passé.
Une nouvelle ère ?
« Le procédé n’a rien de nouveau en soi. La technologie remonte même aux années 80, avec la fabrication des pièces en plastique, explique Yannick Cadoret, expert en mécanique au sein de l’équipe Ingénierie de Thales. À cette époque, on parlait de prototypage rapide. Le principe : fabriquer une pièce par superposition de couches successives à partir d’un dessin CAO 3D. Sous l’effet d’un rayon laser ultraviolet, un polymère liquide photo réactif se solidifie sur une plateforme que l’on abaisse progressivement pour, couche après couche, former l’objet désiré, le tout en à peine quelques heures. »
Se basant sur ce principe, l’impression 3D est devenue une méthode courante pour la fabrication des prototypes et des maquettes, ainsi que des pièces en plastique pour les produits de niche comme par exemple les appareils auditifs intra-auriculaires. Ces dix dernières années, toutefois, avec les progrès réalisés dans les domaines de la conception et des matériaux, cette technologie est devenue une alternative sérieuse aux techniques de fabrication bien établies que sont le moulage par coulée, le moulage par injection ou encore l’usinage.
« La fabrication additive apporte au procédé de nombreux avantages, estime Yannick Cadoret. Elle permet non seulement de raccourcir la durée de fabrication de la pièce, mais également de réduire le poids,
les coûts et le gaspillage tout en offrant une plus grande souplesse au niveau des formes, rendant vos produits plus attrayants et plus compétitifs. Plutôt que d’acheter un kilo de métal pour ensuite en éliminer 90 % (usinage), vous n’utilisez que la quantité strictement nécessaire. »
Des avantages indéniables
Comparée aux méthodes traditionnelles, la fabrication additive présente deux énormes avantages. Tout d’abord, elle libère les concepteurs et les ingénieurs des contraintes inhérentes aux méthodes classiques, leur permettant de produire des pièces d’une grande complexité avec une relative facilité.
Deuxièmement, elle permet de fabriquer des pièces de précision à moindre frais : il suffit de modifier le modèle CAO 3D et le tour est joué. Obtenir une pièce parfaite était autrefois un processus fastidieux et coûteux. Aujourd’hui, il se résume à sauvegarder un nouveau fichier.
Actuellement, la fabrication additive trouve principalement des applications dans la médecine, l’automobile et l’aéronautique. Elle permet par exemple de concevoir et fabriquer des implants, des prothèses, des appareils auditifs, etc. En chirurgie esthétique, il est par exemple possible de reconstruire un nez en adaptant sa forme à chaque individu à partir d’un modèle 3D.
« Il en va de même en dentisterie où il est possible de scanner en 3D la dentition de chaque patient et ce, pour un prix quasiment identique, explique Yannick Cadoret. Cette technologie offre une souplesse extraordinaire en termes de conception et de géométrie, permettant d’adapter le profil à chaque client sans coût ni travail supplémentaire. »
La fabrication additive permet maintenant de produire un très large éventail de petites pièces - principalement en plastique - à la structure de plus en plus complexe. Pour l’avenir, deux axes sont prioritaires : développer de nouveaux matériaux et fabriquer des composants plus solides, plus complexes et avec des propriétés mécaniques plus étendues.
Concernant les matériaux, les choses sont en bonne voie. L’utilisation de la poudre de métal, tout comme celle de la céramique, est désormais courante. Avec ces matériaux, on obtient des pièces plus légères, plus solides et d’une plus grande complexité structurelle. Comme le fait remarquer Phill Dickens, professeur en technologie de fabrication au sein du groupe de recherche Fabrication additive de l’université de Nottingham, les fabricants doivent désormais mettre l’accent sur la fiabilité dans la mesure où la fabrication additive fait désormais partie intégrante du processus de production.
« Si l’on remonte aux années 90, quand la fabrication additive était utilisée pour fabriquer des prototypes, la résistance de la structure n’était pas une préoccupation majeure. Puisqu’il ne s’agissait que de prototypes, destinés au banc d’essai et non pas à être utilisés sur des avions traversant l’Atlantique, l’aspect sécuritaire restait secondaire. Toutefois, dès lors qu’on entre dans le processus de fabrication lui-même, maîtrise et répétabilité deviennent des facteurs essentiels. Ce n’est qu’au cours des dix dernières années que ces aspects sont devenus véritablement des enjeux. »
Mais où en sont les normes ? « Des normes ASTM et BSI sont actuellement en cours de développement, répond Phill Dickens. Des travaux de base sont encore nécessaires avant de parvenir à une bonne connaissance du processus et de pouvoir développer les systèmes de maîtrise indispensables, comme pour n’importe quel autre processus de fabrication. Mais nous n’en sommes pas encore là. »
Des obstacles à surmonter
De toute évidence, un certain nombre de lacunes devront être comblées pour poursuivre sur la voie de la croissance.
Actuellement, une imprimante 3D capable de produire de petites pièces en plastique avoisine les 1 000 dollars US. En revanche, pour des pièces en métal, il faut compter entre 150 000 et 1 million de dollars. De plus, la cadence de fabrication reste faible.
Phill Dickens reste lucide : la fabrication additive ne remplacera jamais complètement les techniques classiques. Mais elle a incontestablement une place à prendre dans l’éventail des capacités de production.
« Il y a des domaines où cette technologie pourrait remplacer certaines techniques classiques, comme le moulage par injection par exemple. Toutefois, je la vois mal remplacer l’intégralité du processus, mais certaines parties, oui, notamment dans les cas où l’on souhaite ajouter de la complexité. Si l’on regarde les pièces moulées par
injection, elles peuvent sembler relativement complexes et pourtant les formes géométriques restent considérablement limitées par le processus. Sur ce plan, la fabrication additive offre beaucoup plus de liberté. »
Certains travaux réalisés dans le domaine de l’aéronautique constituent de véritables percées et c’est peut-être là que réside la clé de réelles avancées non seulement en termes de réduction du prix des pièces, mais également d’efficacité et de sécurité. Récemment, des chercheurs de l’université de Nottingham ont réalisé le projet de redessiner le bras qui soutient le moniteur vidéo des sièges de première classe sur les vols Virgin Atlantic. Le seul fait de redessiner cette pièce et de la fabriquer en employant les matériaux et les procédés de la fabrication
additive - et donc d’obtenir une pièce plus légère -, permettrait, selon les calculs, d’économiser 1 million de dollars en carburant sur la durée de vie de l’appareil.
additive - et donc d’obtenir une pièce plus légère -, permettrait, selon les calculs, d’économiser 1 million de dollars en carburant sur la durée de vie de l’appareil.
« Actuellement, notre travail consiste principalement à trouver le moyen de fabriquer des pièces dans plusieurs matériaux, précise Phill Dickens. Plus tard, nous parviendrons à construire des pièces complexes intégrant du câblage électrique, des chemins optiques, des capteurs, etc., tout cela en utilisant le procédé de la fabrication additive. »
Yannick Cadoret attire également l’attention sur le besoin qu’a General Electric de re-concevoir les injecteurs de carburant de son moteur LEAP. « GE a vendu quelque 4 500 moteurs. À raison de 19 injecteurs par moteur, cela représente un volume de 85 000 pièces à produire sur les prochaines années. D’après leurs calculs, les imprimantes qu’elles permettraient aux criminels d’imprimer leurs propres armes jetables et d’autres que les promoteurs pourraient « imprimer » des maisons pour une bouchée de pain. Phill Dickens n’en croit rien, même s’il reconnaît que cette nouvelle technologie nous réserve bien des surprises.
« J’ai lu un article où il était question de construire sur Mars. Il est clair que si le projet de coloniser la planète rouge se concrétise, il faudra y bâtir des structures et, pour cela, il faudra utiliser les matériaux à disposition. Les nouveaux procédés de l’impression 3D pourraient s’avérer fortement utiles dans ce genre d’environnement. On pourrait par exemple créer directement sur place des plateformes d’atterrissage, des murs pare souffle, voire des abris ou autres objets du même genre. C’est quelque chose de parfaitement envisageable : la preuve, des chercheurs planchent déjà sur la question, avec d’ailleurs le soutien de la NASA, même s’il ne s’agit que d’un projet à petite échelle. »
En attendant, nul besoin d’aller aussi loin pour attester l’énorme potentiel de transformation que représentent les techniques de l’impression 3D.
« À mon avis, ce n’est qu’une question de temps avant qu’on commence à fabriquer des organes grâce à cette technique, estime Dickens. On pourrait envisager de prendre du tissu humain et, à partir de celui-ci, de construire un organe complet en s’inspirant des mêmes procédés d’impression que
ceux utilisés aujourd’hui. »
« Les gens travailleraient sur divers types de tissus vivants différents, en atmosphère stérile afin de ne pas détruire les cellules souches. Il est évident qu’un jour nous fabriquerons du tissu vivant, mais pour cela il va falloir attendre
encore dix ou vingt ans. Une chose est sûre, c’est maintenant que l’avenir se décide. » De quoi donner du grain à moudre aux chercheurs !
encore dix ou vingt ans. Une chose est sûre, c’est maintenant que l’avenir se décide. » De quoi donner du grain à moudre aux chercheurs !