Libérez les robots
Les ventes de robots industriels atteignent aujourd’hui des niveaux record. Selon la Fédération internationale de la robotique (IFR), en 2014 les ventes de robots ont dépassé pour la première fois la barre des 200 000 unités, soit plus de 27 % d’augmentation par rapport à l’année précédente. La demande, qui atteint des sommets en Chine et en Corée du Sud, est tirée principalement par l’industrie automobile et l’électronique.
Les grands robots industriels sont en principe solidement boulonnés au sol et placés dans des enceintes sécurisées afin de protéger les ouvriers. Ces géants « enchaînés », appréciés pour leur précision, leur rapidité et leur capacité de répéter indéfiniment la même tâche, exigent un énorme investissement en capital. C’est pourquoi ils sont la plupart du temps confinés aux chaînes de montage en série. Mais tout ceci pourrait être sur le point de changer.
« Plusieurs facteurs attirent actuellement notre attention, explique Jean-Philippe Jahier, directeur de l’Innovation et de l’industrialisation des nouvelles technologies chez Thales Alenia Space France. Le premier est que les composants robotiques de série deviennent très abordables : vous pouvez vous procurer un bras robotique pour environ 60 000 euros. Le second est le développement de la cobotique, ces systèmes robotiques capables de travailler aux côtés des humains sans les mettre en danger. »
« La flexibilité est l’un des piliers de la cobotique, affirme Jean-Philippe Jahier. Les robots industriels classiques sont souvent programmés pour une seule fonction. Un cobot, c’est un peu comme un couteau suisse : il suffit de changer d’outil pour l’adapter en un tour de main à différentes tâches. Sa capacité à se déplacer d’une application à l’autre dans l’usine ouvre de nouvelles perspectives. »
L’une des ruptures technologiques majeures de la cobotique est que les cobots apprennent par imitation :« Au lieu d’avoir besoin de programmeurs spécialisés, l’utilisateur peut apprendre au cobot comment accomplir un geste donné, explique Jean-Philippe Jahier. Cela responsabilise l’opérateur. Sur le plan social aussi, c’est important, car l’utilisateur peut l’adapter à son propre usage. »
En tant que constructeur de satellites et de charges utiles parmi les leaders du marché, Thales Alenia Space investit en permanence pour optimiser sa production. Lancée plus tôt dans l’année, l’initiative « L’usine de demain » témoigne de cette détermination, en mettant l’accent sur l’association entre des technologies de pointe, comme la robotique et la cobotique, et l’expertise humaine.
« Passer d’une cadence de trente mois pour produire un seul satellite de télécommunications à la production d’un satellite tous les deux jours est une vraie révolution, estime Jean-Philippe Jahier. Si vous voulez conquérir le marché des grandes constellations avec des satellites par centaines, vous n’avez pas d’autre alternative que d’opter pour l’assistance robotique ou cobotique. »
Jean-Philippe Jahier envisage plusieurs applications de l’assistance cobotique dans les ateliers. L’une de ces applications est le « kitting », ce travail fastidieux qui consiste à rassembler tous les composants nécessaires pour exécuter une tâche de production donnée.
« L’efficacité d’un kitting est un facteur important, lié au concept de « lean » appliqué à la production. L’idée est de limiter le plus possible le désordre à proximité de l’endroit où vous travaillez, explique Jean-Philippe Jahier. Le cobot sélectionne les composants nécessaires et les remet à l’opérateur quelques minutes avant le début du travail. C’est essentiel pour l’efficacité du flux de production. »
Recourir à un cobot pour sélectionner des composants dans une caisse de pièces détachées présente également d’autres avantages : grâce à sa caméra intégrée, il peut s’assurer que les composants ne sont pas endommagés, et il peut même les mesurer.
« Cela permet d’éliminer de nombreuses sources d’erreurs : pour un opérateur humain, il est difficile de dire si une vis est trop longue ou trop courte de 5 mm, par exemple, alors que pour un cobot, c’est un jeu d’enfant », précise Jean-Philippe Jahier.
En plus d’accomplir en peu de temps des tâches chronophages, les cobots facilitent les opérations de levage malaisé en offrant à l’opérateur une « troisième main » intelligente.
« Même si vous assemblez des objets très fragiles, la troisième main cobotique peut aider l’opérateur en soulevant et maintenant des composants juste au bon endroit pendant qu’il va chercher l’outil qui lui manque », explique Jean-Philippe Jahier.
Les robots capables de se déplacer dans l’atelier de façon autonome sont encore relativement rares. Et, comme pour les voitures autonomes, les rendre mobiles soulève de nouvelles questions. Comment éviter les collisions ? Et qui est responsable ?
Des vitesses de déplacement lentes, associées à la capacité du cobot d’apprendre et de réagir à son environnement permettent de réduire au maximum le risque de collision.
« Ils sont capables de reconnaître leur environnement et peuvent être programmés pour s’arrêter devant les obstacles ou les contourner », souligne Jean-Philippe Jahier. En développant les techniques actuelles d’identification et d’authentification, il est en outre possible de faire en sorte que seuls les utilisateurs autorisés puissent lui donner des ordres. « Le robot ne pourra entrer en relation qu’avec les personnes avec lesquelles il est déjà connecté. Si vous voulez modifier la séquence d’exécution ou changer d’activité, vous devrez vous connecter de nouveau. »
Malgré les gains de productivité promis par les cobots, Jean-Philippe Jahier insiste sur le fait que ces recrues robotiques auront pour mission d’aider plutôt que de remplacer la main-d’œuvre actuelle.
« On ne peut imaginer une usine avec 1 000 robots et une seule personne décidant de tout, fait-il valoir. La robotique et la cobotique ont pour vocation d’accroître la compétitivité et de doper la croissance, pas de réduire le nombre de salariés. »
« Ce que nous cherchons avant tout, c’est ce que nous appelons ʺl’hypertechnologieʺ : une proposition doit constituer une réelle rupture, ne pas simplement améliorer quelque chose qui est déjà sur le marché », déclare Bruno Bonnell.
« On doit pouvoir la mettre en œuvre, sans être obligé de faire des trous, de passer des câbles ou de défoncer votre salon, déclare Bruno Bonnell. Ce principe s’applique aussi à l’industrie : si elle nécessite d’importantes modifications de vos infrastructures, elle ne prendra pas. »
Bruno Bonnell, qui a à son actif plus de trente ans d’expérience dans le domaine technologique, a été durant huit ans directeur général d’Atari (développement de jeux vidéo), une expérience qui, selon ses dires, lui a été extrêmement utile.
« Il y a un lien naturel entre les jeux et la robotique, fait-il remarquer. L’idée de se projeter dans un environnement différent et de le manipuler est née dans l’industrie du jeu. Aujourd’hui, ce principe est à la base de tout, depuis le fonctionnement des drones jusqu’à la chirurgie robotique. »
Il reste cependant quelques pierres d’achoppement. « L’énergie est de loin la première, souligne Bruno Bonnell. Nous ne savons pas encore comment faire fonctionner des robots sophistiqués sans source d’énergie externe. Nous en sommes encore aux premiers balbutiements de la robotique et nous devons trouver un moyen de couper ce cordon ombilical. »
Il y a aussi la question de savoir dans quelle mesure il faut laisser les robots penser par eux-mêmes.
« Je pense qu’il faut être prudent avec ce combat obsessionnel pour l’intelligence artificielle, met en garde Bruno Bonnell. Outre les problèmes éthiques et pratiques, il est tout simplement plus efficace que les robots soient contrôlés par des humains. »
Quel est le prochain domaine de conquête des robots ? Pour Bruno Bonnell, les transports seront un axe majeur de développement.
« La voiture autonome sera l’une des prochaines évolutions clés. D’ici à 2030, conduire sa voiture paraîtra ridicule, voire sera peut-être carrément interdit. »
L’aviation devrait également s’automatiser de plus en plus : « Laisser le contrôle des avions exclusivement aux pilotes va devenir compliqué. Je pense que l’on accordera beaucoup plus d’importance au pilote automatique, l’équipage n’intervenant qu’en cas d’urgence. »
Mais le changement le plus spectaculaire devrait toutefois être l’essor de la téléopération, le contrôle des machines à distance.
« On commence à en voir les prémices avec la téléprésence, explique Bruno Bonnell. En développant cette approche il est possible de piloter et de faire fonctionner à distance des machines dans des conditions dangereuses, comme sous la mer ou dans des environnements extrêmes comme les déserts ou les pôles. La clé, c’est de combiner les performances des robots et l’intelligence des humains. »