Les usines autonomes du futur
Comment la décentralisation, l’IA, la blockchain et les cryptomonnaies libèrent le potentiel de la révolution industrielle 4.0
Un ingénieur en contrôle industriel des technologies opérationnelles de Thales nous fait part de sa vision de l’avenir de l’usine autonome…
En 2018, l’usine Model 3 totalement autonome de Tesla était peu performante et rencontrait de nombreuses difficultés. Construite en 2016, elle avait été conçue pour produire 5 000 voitures par semaine, mais arrivait tout juste à en sortir 2 000. Tesla était sous le feu des critiques à cause de retards de fabrication et de défaillances des véhicules ayant nécessité de nombreux rappels. Finalement, certaines parties du processus d’automatisation de la fabrication ont été supprimées et on a fait revenir des ouvriers à l’usine. L’automatisation totale de l’usine était probablement une erreur à l’époque, mais ce que le monde a appris grâce à l’usine de Modèle 3 de Tesla, c’est qu’une plus grande automatisation de la production était possible ; depuis, la technologie n’a cessé d’évoluer.
De nombreuses industries expérimentent actuellement une automatisation plus poussée, tendance que la pandémie de COVID-19 a d’ailleurs accélérée. L’autonomie totale devrait permettre d’améliorer l’efficacité, la sécurité et la qualité. Elle libérera du personnel qui pourra se consacrer à des tâches plus créatives comme l’ingénierie, la conception des produits et le renforcement des relations avec les fournisseurs et les clients.
Pour visualiser une application potentielle d’autonomie totale, imaginez une usine pharmaceutique qui produit un médicament personnalisé, où chaque boîte de comprimés est spécialement formulée pour répondre aux besoins spécifiques d’un patient. La logistique que cela implique est incroyablement complexe. Il faudrait que le médecin du patient spécifie le médicament en détail, que le pharmacien en passe commande régulièrement, que l’usine le produise et l’expédie à temps au pharmacien. Tout au long de cette chaîne, il serait d’importance vitale que les informations concernant le patient restent intelligibles et que leur caractère confidentiel soit préservé. D’un point de vue opérationnel, il faudrait que les machines de l’usine soient capables de fabriquer les différentes prescriptions pour chaque patient. Enfin, il faudrait que l’usine pharmaceutique soit fortement réglementée et garantisse la traçabilité totale des ingrédients et des techniques de fabrication pour chaque lot de médicaments.
Comment résoudre ce problème ?
Si les entreprises de logistique qui assurent la distribution des médicaments avaient un seul serveur centralisé effectuant des calculs d’AI, alors on aurait un point de défaillance unique et toute panne du serveur aurait des conséquences catastrophiques. Héberger l’AI dans le cloud réduit la probabilité pour qu’un tel cas se produise, mais comme l’a montré la panne du CDN Fastly en 2021, le cloud n’est pas infaillible.
Une option possible consiste à faire de chaque véhicule de l’organisation logistique un nœud d’IA, capable de partager des données avec n’importe quel autre véhicule. Les camionnettes constitueraient ainsi une AI distribuée qui supprimerait le point de défaillance unique. Ce principe pourrait s’appliquer également aux autres maillons de la supply chain, comme les pharmacies et le parc de machines de l’usine.
Ce type de méthode créerait, en théorie, un réseau de communication complexe, où tous les nœuds d’AI travailleraient ensemble pour assurer une efficacité maximale tout au long de la supply chain. Par contre, du point de vue de la traçabilité, le détricotage de ce réseau serait un cauchemar. Et si toutes les communications étaient enregistrées sur une blockchain ? Si l’intégralité des échanges de données était stockée dans un registre immuable, alors il serait possible de retracer le processus de fabrication de la prescription depuis la source des ingrédients jusqu’au pseudonyme du chauffeur qui a livré le médicament. Ces données pourraient en théorie être accessibles via un QR code imprimé sur l’emballage, code qui dirigerait vers une page web regroupant toutes les données de la transaction.
Si les machines étaient en outre capables d’effectuer des transactions monétaires, le processus d’achat pourrait être, lui aussi, autonome. Pour cela, il faudrait que le département des achats concerné élabore une liste de fournisseurs fiables, qui respectent les normes et règlements en vigueur. Toutes les transactions pourraient alors être effectuées en cryptomonnaie, afin de tirer avantage du registre de la blockchain, en bénéficiant à la fois de frais de transaction réduits et d’une plus grande sécurité.
Voilà comment j’imagine le fonctionnement de l’usine totalement autonome et de la supply chain associée. Ces principes pourraient s’appliquer à n’importe quelle industrie manufacturière, même si cela pourrait être une erreur de le faire dès maintenant, comme ce fut le cas pour l’usine Tesla en 2016. Quoi qu’il en soit, je pense que l’on parle là d’un futur assez proche…