Lasers de haute performance
Si, à cette époque, leur utilisation se cantonnait principalement aux laboratoires, les lasers sont aujourd’hui devenus omniprésents dans notre vie de tous les jours, le laser continu étant maintenant une technologie relativement mature. Les applications sont foison : marquage, découpe ou encore soudage de métaux dans l’industrie automobile, sans parler de la lecture des codes barres. Les chercheurs estiment pourtant que le potentiel de cette technologie n’a pas encore été entièrement exploité.
Dans le cas du laser impulsionnel, l’énergie est concentrée sur une durée très courte, délivrant une puissance instantanée, qui peut être contrôlée très précisément.
« Les lasers sont encore une technologie relativement jeune, explique Christophe Simon-Boisson, chercheur en chef dans le domaine des lasers chez Thales. Il existe encore une grande marge de progrès, notamment sur le plan de la puissance et de l’efficacité. »
Ce gaspillage peut être réduit en canalisant davantage d’énergie d’entrée à l’intérieur du faisceau laser lui-même. La puissance du laser peut également être « boostée » en utilisant des impulsions d’énergie ultracourtes et concentrées en sortie. Dans les deux cas, l’efficacité augmenterait avec la quantité d’énergie en sortie, ouvrant la voie à de nouvelles applications lasers dans les secteurs scientifique, industriel, médical et militaire.
En Bref
Même s’ils existent depuis plus de soixante ans, les lasers n’ont pas encore atteint leur efficacité optimale.
Les chercheurs travaillent à produire des lasers de 10 petawatt, une puissance jamais atteinte.
Les lasers de puissance pourraient conduire à des avancées scientifiques majeures, notamment sur les origines de l’univers.
Les prochaines étapes
Depuis trente ans, Thales fabrique des lasers et ne cesse de mener des recherches dans ce domaine. En 2012, le Groupe a développé et fourni au laboratoire de Berkeley, en Californie, un accélérateur laser du nom de BELLA (Berkeley Lab Laser Accelerator). Dans la nuit du 20 juillet 2012, BELLA est devenu le premier laser capable de fournir une puissance de l’ordre du petawatt, l’équivalent d’1 million de milliards de watts. Pour arriver à ce résultat, toute l’énergie est produite en une impulsion d’une durée d’une femtoseconde (soit un millionième de milliardième de seconde).
Par ailleurs, Thales a été retenu dans le cadre du programme européen de recherche ELI-NP (Extreme Light Infrastructure for Nuclear Physics) pour produire deux lasers intenses de 10 petawatt chacun, qui serviront au nouveau laboratoire européen de Bucarest, en Roumanie, lieu de recherches scientifiques sans précédent. Ce laser ultra puissant sera notamment utilisé pour étudier les noyaux atomiques afin de mieux comprendre la formation des éléments chimiques au sein des étoiles.
Selon Christophe Simon-Boisson, l’un des objectifs scientifiques ultimes de cette technologie est de produire un laser ayant une puissance suffisamment élevée pour concentrer l’énergie en un minuscule point similaire à celui où était rassemblé l’univers au moment du Big Bang. On en est encore loin mais, si on y arrive un jour, cela permettrait aux scientifiques d’étudier la possible création de matière à partir du vide, phénomène qui, pense-t-on, se serait produit lors de la formation de l’univers.
Mais les lasers extrêmes offrent également des applications concrètes en dehors des laboratoires. Simon-Boisson établit un parallèle avec l’industrie automobile :
« Lorsque l’on développe une nouvelle technologie pour la Formule 1, les retombées se ressentent jusque dans nos voitures individuelles. »
Les lasers les plus rapides, fonctionnant avec des impulsions de l’ordre de la femtoseconde, trouvent également des applications dans le secteur médical, par exemple pour la cautérisation des tissus, le resurfaçage de la peau afin d’éliminer les cicatrices ou les tatouages ou encore pour la réduction ou la destruction des tumeurs et des polypes. Grâce à ces lasers, plus précis, les chirurgiens pourraient travailler avec encore plus de minutie.La production des rayons X pour l’imagerie médicale pourrait aussi s’en trouver améliorée. À l’heure actuelle, ces rayons sont produits à partir de mini accélérateurs de particules comme dans les tubes à vide des vieux téléviseurs. Un laser intense pourrait remplacer cette technologie encombrante et fragile et serait par ailleurs plus simple à entretenir, réduisant le coût du cycle de vie de l’équipement.
Autre rôle naturel des lasers : la production d’isotopes. Il y a des centaines d’applications pour les radio-isotopes : certains médecins les utilisent par exemple pour la scintigraphie, procédé d’examen consistant à injecter dans le sang du patient une petite quantité de radioactivité afin de détecter un éventuel dysfonctionnement, qu’il s’agisse d’une occlusion ou d’une hémorragie interne. L’utilisation d’un laser très intense pour l’accélération des électrons dans les noyaux atomiques pourrait s’avérer plus efficace et moins coûteuse en entretien sur le long terme que les accélérateurs de particules actuellement utilisés.
Des lasers plus intenses et plus efficaces, capables de générer les particules nécessaires à la protonthérapie, pourraient permettre le ciblage très précis des tumeurs chez les patients atteints d’un cancer. Ces traitements font appel à des faisceaux de protons ultra concentrés pour cibler très précisément les tumeurs et éviter d’abîmer les tissus sains adjacents.
Actuellement, la génération de protons nécessite un accélérateur de particules de type synchrotron, équipement volumineux et cher. Cela explique que seuls 41 centres dans le monde soient en mesure d’offrir ce genre de traitement, bien qu’il s’agisse d’une thérapie aujourd’hui bien maîtrisée. Des protons accélérés par laser réduiraient considérablement la taille et le coût du matériel nécessaire.
Des lasers sur Mars

Applications militaires
Le développement d’applications militaires pour ces lasers ultra puissants suscite aujourd’hui un intérêt grandissant.
« De nombreux pays dans le monde cherchent à développer des systèmes de défense basés sur les lasers. Ils y consacrent des sommes considérables», témoigne Alan Miller, spécialiste de cette technologie chez Thales.
Les systèmes de défense ne reposent pas sur les lasers impulsionnels, mais sur la production continue d’une lumière laser vers une cible. Durant l’été 2013, par exemple, des documents déclassifiés par le gouvernement britannique ont révélé qu’un système laser avait été déployé par les navires britanniques dans le cadre de la guerre des Falklands. L’utilisation de cette arme avait un but très simple, celui d’aveugler les pilotes argentins lors des raids de bombardement à basse altitude. Mais pour fonctionner efficacement, cette technologie nécessitait cohérence et précision.
Dans les années qui ont suivi, la puissance des lasers a augmenté au point de pouvoir abattre un avion ou détruire des cibles à distance. Le principal avantage d’un système laser par rapport à des projectiles standard, c’est la quasi absence de consommables. Il n’y a pas d’obus encombrants à transporter. Tant qu’il est alimenté, un laser peut tirer de manière continue. Cela signifie que le coût d’exploitation est inférieur à celui de l’armement conventionnel.
La marine américaine est en train de tester un système d’arme laser appelé LaWS, tandis qu’au Royaume-Uni, la marine royale mène des études sur une arme à énergie dirigée basée sur la technologie laser, avec l’espoir qu’un équipement de ce type sera opérationnel d’ici 2020.
Le gouvernement britannique investit également dans le développement de nouvelles technologies ayant le potentiel de désorganiser l’ennemi. D’après lui, il s’agit d’un domaine de recherche à risque élevé/profit élevé capable d’apporter des changements radicaux et où les lasers pourraient jouer un rôle. Quant au rôle exact qu’ils pourraient jouer, l’information est pour le moment classifiée défense.
En dépit de leur énorme potentiel, ces applications révolutionnaires ne sont pas encore prêtes de voir le jour, que ce soit dans le domaine militaire ou médical. D’après Christophe Simon-Boisson, il faudra attendre encore quinze à vingt ans, voire plus, avant que les lasers soient suffisamment efficaces et sophistiqués pour pouvoir réaliser leur potentiel à long terme.
Mais le jeu en vaudra la chandelle, notamment pour ce qui concerne la protonthérapie.
« Si nous réussissons, cela pourrait véritablement révolutionner le traitement du cancer. »