Le feu sous la glace ?
Jamais, depuis le début des observations par satellite il y a plus de trente-cinq ans, le niveau des glaces dans l’océan Arctique n’avait été aussi bas en hiver. Un dégel aux conséquences considérables, et pas seulement sur l’environnement...
« Ce qui change, c’est la masse de glace pluriannuelle, soit la glace qui résiste à la fonte estivale, puisqu’elle s’amenuise nettement plus vite que la glace de mer, explique Stefan Hendricks, docteur en physique de la glace à l’Alfred Wegener Institute for Polar and Marine Research. La couverture de glace devenant plus saisonnière, un plus grand nombre de régions ne sont pas gelées en été. »
Si l’on commence seulement à comprendre l’ampleur de ces changements sur l’environnement, les implications géopolitiques sont en revanche déjà très claires. La fonte des glaces redessine la carte des pôles, découvrant des zones jusqu’alors inaccessibles.
« L’Arctique et l’ensemble de ses ressources deviennent accessibles à mesure du recul des glaciers, commente le vice-amiral Nils Wang, commandant du Royal Danish Defence College et l’un des principaux analystes de la sécurité de l’Arctique au Danemark. Nous observons d’ores et déjà une intensification de l’activité maritime dans la région, et cette situation va s’accentuer encore durant la prochaine décennie. »
Vers une nouvelle économie
En été, le passage du Nord-Est relie les océans Atlantique et Pacifique par une route qui longe la Norvège et le nord de la Russie. L’intérêt est évident : ainsi, le port de Yokohama, au Japon, est distant de celui de Rotterdam, aux Pays-Bas, d’un peu plus de 7 000 milles nautiques par ce passage. La voie traditionnelle, via le canal de Suez, est de 4 000 milles plus longue.
Autre raccourci polaire majeur, le passage du Nord-Ouest borde les côtes septentrionales du Canada et des États-Unis, offrant une voie parallèle au canal de Panama. Là encore, les distances pourraient se trouver très raccourcies. En passant par l’Arctique, le voyage entre la côte ouest du Canada et la Finlande notamment s’écourte ainsi d’environ 1 000 milles nautiques.
Il faudra du temps avant que le trafic de porte-conteneurs ne se détourne massivement des canaux de Suez ou de Panama, situés à des latitudes inférieures. Mais le transport maritime limité à la région est déjà important. Menées pour le compte du Conseil de l’Arctique, des recherches publiées en 2009 ont dénombré environ 6 000 navires, un chiffre qui devrait progresser dans les prochaines années.
Cette évolution s’explique en partie par les projets visant à exploiter les abondantes ressources naturelles de la région. L’Arctique est en effet riche en hydrocarbures : 13 % des champs de pétrole et 30 % du gaz naturel non découverts dans le monde pourraient s’y trouver, selon l’US Geological Survey.
La région s’avère aussi une mine prodigieuse. Le Groenland, par exemple, renferme des gisements de cuivre, de fer, de zinc, d’or, de molybdène, d’uranium et de terres rares. Avec le recul des glaciers, il deviendra plus facile d’extraire et de transporter ces minerais.
La terre du soleil de minuit gagne également en popularité auprès des touristes, au point que la demande de voyages polaires a fortement augmenté. Les arrivées de bateaux de croisière aux ports du Groenland ont plus que doublé entre 2003 et 2008. La fonte des glaciers pourrait attirer ces navires plus au nord.
En outre, la course accrue à des ressources marines peu abondantes soulève également de nouvelles questions. La pression exercée notamment sur les stocks halieutiques en Arctique et dans ses zones limitrophes pourrait s’intensifier à mesure de l’appauvrissement des stocks plus au sud. Et cette situation gagne encore en complexité à cause, d’une part, des différences entre les réglementations nationales régissant la pêche et, d’autre part, des conflits portant sur les frontières maritimes.
Par ailleurs, la pêche illicite, non déclarée et non réglementée pose aussi problème. Autant de sources potentielles d’embrasement qu’il ne faut pas sous-estimer. N’oublions pas que les « guerres de la morue » qui opposèrent le Royaume-Uni à l’Islande au sujet des droits de pêche ont donné lieu à des opérations navales violentes dans l’Atlantique Nord en 1976, soit relativement récemment.
La ruée vers le Nord
Malgré les tensions territoriales, les États de l’Arctique collaborent toutefois efficacement dans plusieurs domaines. Le Conseil de l’Arctique, forum intergouvernemental qui réunit le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie et la Suède, traite ainsi des questions non-militaires. Les populations indigènes y sont également représentées.
Créé en 1996, ce Conseil exerce une influence croissante à l’échelle mondiale. Lors de leur réunion de 2013 à Kiruna, dans le nord de la Suède, les membres du Conseil ont accordé le statut d’observateur permanent à la Chine, à la Corée du Sud, à l’Inde, à l’Italie, au Japon et à Singapour – ce qui montre l’intérêt grandissant pour les ressources naturelles de la région et souligne tout le potentiel des raccourcis polaires pour le fret international.
De nouveaux impératifs de sécurité
Pour les pouvoirs publics de la région, l’intensification de l’activité dans l’Arctique présente de nouveaux enjeux en termes de sécurité :
« Tous les États de l’Arctique renforcent actuellement leurs capacités afin de surveiller ce qui se passe là-haut, précise le vice-amiral Wang. Ce qui manque pour le moment, c’est une vue d’ensemble complète en temps réel. »
Le maintien de la paix et de la stabilité dans la région passera par la capacité à surveiller les frontières terrestres et maritimes. De plus, les forces de défense ont besoin d’outils pour alerter les autorités suffisamment tôt en cas d’incursion aérienne. Il leur faut aussi des sonars pour détecter les activités sous-marines non autorisées.
De même, il est indispensable d’assurer la sécurité des navires et des avions – civils comme militaires – qui opèrent dans la région. Pour tirer pleinement parti de capacités de sauvetage très limitées et déployer, le cas échéant, les ressources nécessaires, les pouvoirs publics ont besoin d’une meilleure visibilité en temps réel sur la mer, le ciel et le littoral.
Il convient en outre de surveiller l’activité économique dans l’Arctique, en particulier l’exploration pétrolière ou gazière, la pêche et le transport maritime. Les autorités doivent pouvoir s’assurer que les entreprises appliquent la règlementation, que les quotas sont respectés, et que la pollution et les répercussions sur l’environnement font l’objet d’un suivi.
Instaurer le cadre nécessaire
Les télécommunications constituent un autre obstacle. Colossales, les distances en jeu excluent tout réseau hyper-câblé. La couverture satellite est inégale, sans compter qu’à des latitudes élevées, les ondes radio haute fréquence propices aux communications longue distance sont sujettes aux interférences ionosphériques.
Aucun de ces problèmes n’est insurmontable, assure Marc Essig, directeur de Thales pour les États baltes et les pays nordiques. Et il sera crucial d’exploiter au maximum l’infrastructure déjà en place.
« Nous parlons ici de défense intelligente, souligne Marc Essig. La clé consistera à savoir réutiliser les équipements existants et à partager les données entre les pays. »
Non seulement Thales maîtrise les technologies de capteurs nécessaires à la collecte de données, mais le Groupe est aussi un leader dans les technologies d’exploitation de ces informations. Ses solutions de surveillance sont compatibles avec différents types de données – comme les images satellite infrarouges, les données radar et sonar, l’imagerie captée par les drones et les données des systèmes d’identification automatique (Automatic Identification System ou SIA) – et permettent de les convertir en des informations exploitables.
Ses systèmes de commandement et de contrôle fusionnent déjà ces types de données pour les forces armées et la sécurité urbaine.
« Non seulement les opérateurs visualisent alors ce qui se passe, mais ils disposent également des informations nécessaires pour décider des actions à mener en s’appuyant sur des systèmes d’aide à la décision, explique Marc Essig. Dans des environnements difficiles et complexes, ces capacités sont vitales. Par son expertise dans l’ISR et sa présence dans la région, le groupe Thales se trouve idéalement placé pour fournir des solutions, des équipements et une aide permettant de relever les défis uniques qui se posent en Arctique. »
Pour des routes bien fréquentées
La sécurité maritime et côtière repose sur l’identification rapide de navires suspects. Mais localiser avec précision un navire voyou parmi des centaines d’embarcations légitimes revient à chercher une aiguille dans une meule de foin.
Les technologies de big data développées par Thales pourraient apporter la réponse. La probabilité qu’un navire mène une activité illégale (pêche illicite ou piraterie, par exemple) varie non seulement en fonction de son pavillon, mais aussi selon sa position, sa vitesse, sa direction, ses voyages antérieurs et même les conditions météorologiques.
Il est possible de rassembler ces informations à partir de sources telles que l’AIS (Automatic Identification System) qui fournit des données de suivi des navires, ou encore les radars et les rapports météorologiques. En modélisant les comportements suspects, on peut lancer une alerte automatique pour tout navire qui remplirait les critères correspondants dans la zone observée.
L’approche de Thales va plus loin : en appliquant des techniques combinant analyse et apprentissage automatique il devient possible de détecter les nouveaux comportements illicites, susceptibles de passer inaperçus. En d’autres termes, on peut créer des modèles et affiner en continu ceux existants.