Aller au contenu principal

Rencontre avec Sandrine Mathieu, ingénieure au cœur des nouveaux enjeux liés au changement climatique

En quoi consiste votre activité chez Thales Alenia Space ?

Je suis Responsable Lignes de Produits pour les activités relatives à la surveillance de l’environnement,  l’océanographie et la météorologie. En anglais, on parle de Product Line Manager ou PLM. A ce titre, j’ai la responsabilité de la stratégie des lignes de produits précitées. Avec les Product Line Architectes, nous montons et suivons les lignes de produits depuis les études de R&D avec les scientifiques et/ou les utilisateurs, en passant par les phases d’études de pré-dimensionnement et de faisabilité jusqu’à la phase de développement du produit et son retrait. En d’autres termes, je dois m’assurer que les besoins des utilisateurs et des clients, en matière de données satellitaires et d’opérations attendues, soient bien pris en compte dans la mission des futurs satellites. La compréhension du besoin est à la base de mon métier. Je suis un peu « la voix de mon client ». Pour ce faire, je suis en contact permanent avec les institutionnels et les agences spatiales, l’ESA et le CNES en particulier, qui me font part de leurs spécifications, résultats d’études menées au préalable avec les utilisateurs.

 

© Boris Wilensky / Human Value

 

A l’inverse, il peut arriver que les PLMs, qui sont en relations étroites avec la communauté scientifique et des laboratoires de recherche, identifient des capacités de missions par rapport à des solutions techniques existantes ou en cours développement. Cela peut ouvrir vers des capacités d’utilisation que nous n’avions même pas envisagées au départ. Ce qui me plait le plus dans mon métier, en plus de la relation privilégiée que nous avons avec nos clients et la communauté scientifique, c’est de voir nos réalisations et solutions technologiques déboucher vers de nouvelles applications concrètes, qui vont améliorer le quotidien des utilisateurs. Cela me procure une joie immense. Je vois les satellites comme une source de bienfaits au service des citoyens.

Dans quelle mesure les satellites d’Observation de la Terre peuvent-ils contribuer à la préservation de notre Planète ?

 

 

Les satellites sont des « yeux bienveillants » qui ont la capacité d’effectuer un diagnostic de l’état de santé de la Terre. Nous disposons de données à court terme mais aussi, et surtout, d’archives qui s’étalent pour certaines sur plus de 50 ans. Cela nous permet de comprendre l’évolution des phénomènes qui régissent notre planète et d’anticiper les conséquences du changement climatique. Il faut bien séparer les variables. Les satellites ne peuvent pas agir sur les effets du changement climatique. En revanche, les technologies spatiales sont des atouts considérables. Elles permettent de mesurer des indicateurs clés qui dressent un état des lieux précis des effets de la déforestation, de la réduction de la banquise, de l’évolution du trou dans la couche d’ozone, etc … Ils permettent d’analyser les phénomènes climatiques, les océans, leurs températures, la hauteur des vagues, la couleur de l’eau… Ils jouent un rôle de prévention significatif en anticipant des phénomènes climatiques extrêmes (typhons, tempêtes, tsunamis). S’il n’y avait pas de satellites, nous n’aurions pas de données précises, robustes et de qualité égale pour toute la planète. Par exemple, les satellites contribuent à 75% de l’élaboration des « variables climatiques essentielles » qui sont les marqueurs de référence de suivi des effets du changement climatique établis par le GIEC.

Le changement climatique demeure malheureusement une problématique de société de premier plan, encore plus aujourd’hui. La concentration des gaz à effet de serre déjà présents dans l'atmosphère suffit à elle seule à garantir une augmentation de la température moyenne de la Terre pendant plusieurs siècles. Si les satellites jouent un rôle essentiel dans cette lutte effrénée contre le changement climatique, l’action qui a le plus d’impact est celle des politiques et des citoyens.

Pouvez-vous nous parler du programme Copernicus de la Commission Européenne ?

 

 

Les « Sentinel », développées pour le compte de l'ESA dans le cadre du programme Copernicus de la Commission Européenne, représentent une composante de première importance en matière de surveillance de l’environnement en Europe et à l’échelle mondiale. C’est la contribution Européenne au programme mondial GEOSS (Global Earth Observation system of systems).

La famille des “Sentinel” est composée à ce jour de six séries de satellites ou d’instruments : Sentinel-1 vise à assurer la continuité des données radar d’ERS et d’Envisat tandis que Sentinel-2 et -3 sont dédiés à la surveillance des terres et des océans. Les instruments Sentinel-4 et -5 sont destinés à des missions de météorologie et de climatologie. Sentinel-6 assure la continuité opérationnelle des missions altimétriques de Jason. Dans le cadre de Copernicus, Thales Alenia Space est maître d’œuvre des familles de satellites Sentinel-1 et -3 (4 satellites par mission), est responsable du segment sol Image de Sentinel-2, contribue à la réalisation du spectromètre imageur à bord de Sentinel-5P et fournit l’altimètre radar Poseidon-4 de la mission Sentinel-6.

Thales Alenia Space est également à bord de 5 des 6 nouvelles missions Copernicus Expansion, dirige 3 missions en tant que maître d'œuvre (CIMR, ROSE-L et CHIME) et fournira les charges utiles pour 2 missions supplémentaires (CO2M et CRISTAL). Ces nouveaux satellites seront utilisés pour mesurer les émissions de dioxyde de carbone atmosphériques produites par l’activité humaine, contrôler l'épaisseur de la banquise et de la neige la recouvrant, soutenir de nouveaux services optimisés de gestion durable de l'agriculture et de la biodiversité, observer la température et la salinité de la surface de la mer ainsi que la concentration de la banquise, renforcer les services de surveillance des terres et de gestion des urgences.

Pouvez-vous nous parler de 2 missions Copernicus en particulier ?

 

 

J’aimerais vous parler de 2 missions : CO2M et Sentinel-3.

CO2M, tout d’abord, fait partie des nouvelles missions Copernicus Expansion. Elle permettra de relever l'un des principaux défis soulevés lors de la COP21 pour la surveillance du changement climatique à échelle internationale. Grâce à cette mission, l'UE pourra obtenir une traçabilité précise des émissions de dioxyde de carbone (CO2) d'origine anthropique, générées par l’activité humaine. Ses spécifications et ses capacités en font une véritable mine d’or en matière de surveillance des émissions de gaz à effet de serre. A ce jour, les missions spatiales de mesure du CO2 anthropique n’ont pas cette qualité d’information, en particulier s’agissant de la couverture spatiale, la fauchée. En la matière, CO2M est la contribution européenne à l’effort mondial.

Thales Alenia Space est responsable de la réalisation des charges utiles des 2 satellites CO2M, sous maîtrise d’œuvre OHB. Les instruments de très haute performance, embarqués à bord de la charge utile, fourniront des mesures du CO2, du NO2 et des aérosols, permettant ainsi d'obtenir un niveau de précision inégalé de la concentration de CO2. Ces performances, associées à la capacité d'imagerie complète, feront de CO2M la référence mondiale en matière de surveillance des émissions anthropiques de dioxyde de carbone, y compris aux niveaux des villes.

Sentinel-3 est également une mission que j’affectionne particulièrement. 2 satellites, Sentinel-3A et -3B, ont été lancés respectivement en 2016 et en 2018. Ils seront complétés par 2 autres satellites, -3C et –D, tous réalisés sous maîtrise d’œuvre Thales Alenia Space.

 

 

Les satellites Sentinel-3 accomplissent une double mission maritime et terrestre couvrant les domaines de l’océanographie, l’hydrologie continentale et la surveillance de la végétation sur les terres émergées.   

En matière d’océanographie opérationnelle, les satellites effectuent en particulier une mission de topographie de surface, consistant à mesurer précisément la hauteur des mers et des vagues ainsi que la vitesse du vent au-dessus des océans. Ils mesurent par ailleurs la température et la couleur de l’eau des océans, mers et lacs. Les données récoltées contribuent à l’amélioration des prévisions océanographiques et côtières. De telles informations permettent d’avoir une meilleure connaissance de l’état de santé des océans, de mieux gérer les ressources halieutiques, de surveiller avec précision les changements de niveau de la mer ainsi que la diminution de la banquise arctique, autant d’éléments majeurs pour le suivi du changement climatique.

En quoi les futurs satellites de météorologie géostationnaire vont-ils contribuer à une amélioration des prévisions météo en Europe ?

 

 

Grâce aux satellites Meteosat de première et de seconde générations, les météorologues disposent depuis plus de quarante ans d'une source continue de données fiables pour leurs prévisions météo immédiates et à courte portée.

Avec pour zone de couverture l'Europe, l'Atlantique Nord et l'Afrique, les satellites Meteosat de seconde génération (MSG) disposent d’images réactualisées toutes les 15 minutes, contre 30 minutes pour la première génération. Les météorologues ont pu bénéficier, avec MSG, d’une amélioration de la qualité des images liée à une augmentation significative du nombre de canaux d’observation, à de meilleures performances radiométriques combinées à des cycles de revisite plus courts. Ils sont ainsi en mesure de détecter et de surveiller des phénomènes tels que les tempêtes, qui peuvent avoir des conséquences désastreuses et fragiliser des secteurs d’activités divers tels que l'agriculture, la pêche industrielle ou les transports, la navigation maritime en particulier. Avec MTG (Meteosat Third Generation), la réactualisation des images aura lieu toutes les 10 minutes, rendant les prévisions météorologiques de plus en plus fiables grâce à l’emport de sondeurs atmosphériques en complément des images fournies. L’intégralité des satellites météorologiques européens a été réalisé sous maîtrise d’œuvre Thales Alenia Space.

MTG ira plus loin encore. Si grâce au passage d’une plateforme « spinnée » à une plateforme stabilisée 3 axes, la réactualisation des images, pour l’ensemble de la planète, aura lieu toutes les 10 minutes, celles-ci seront actualisées toutes les 2 minutes et 30 secondes à l’échelle européenne. La génération MTG comprendra 6 satellites : 4 imageurs et 2 sondeurs atmosphériques. Les données obtenues par les imageurs seront beaucoup plus précises au niveau de la résolution spatiale ; la résolution spatiale étant divisée par 2. Ces satellites bénéficieront de bandes spectrales supplémentaires, permettant ainsi de récolter davantage de données sur les nuages et la vapeur d’eau. La résolution temporelle sera plus grande, ce qui se traduira par une augmentation de la fréquence des images. Les imageurs vont bénéficier d’une capacité accrue ; les prévisions météo seront d’autant plus fiables. Grace à l’utilisation combinée de l’imagerie et du sondage, les indices de précisions météo seront en effet fiables à 5 jours et l’on pourra avoir une visibilité jusqu’à 8 jours. La grande nouveauté, avec MTG,  c’est que les satellites vont embarquer des capteurs supplémentaires, notamment le « Lightning Imaging », le capteur d’éclairs, ainsi qu’un spectromètre UV dédiés aux aérosols, réalisé par Airbus Defence & Space.

Les 2 sondeurs atmosphériques seront, quant à eux, en capacité de fournir une cartographie en 3D de l’atmosphère. Il s’agit d’une véritable rupture technologie ainsi qu’une grande première mondiale ! Grâce aux sondeurs, la détection des phénomènes climatiques extrêmes sera anticipée d’une demi-journée. En outre, en combinant l’ensemble du système, les météorologues vont améliorer les prévisions météo avec une anticipation de 8 jours. Ce sera un grand pas en avant pour prévenir les populations concernées en cas d’alertes météo. MTG va véritablement contribuer à sauver des vies et ouvrir la voie à de nouveaux types de service dont vont bénéficier les citoyens européens et africains. Une fois, l’ensemble de la flotte MTG lancée, EUMETSAT bénéficiera des services météos les plus performants au monde.

J’avoue être fière de travailler pour une entreprise qui met son savoir-faire technologique au service de la lutte contre le changement climatique, avec l’ensemble de l’écosystème spatial. Comme le disait l’ancien Secrétaire Général des Nations Unis, « Il n’y a pas de plan B car il n’y a pas de planète B ». Nous n’avons qu’une planète, aussi belle que fragile. Il faut en prendre soin plus que jamais. En ce sens, les satellites pourront nous aider et rendre compte de nos actions, mais ils n’agiront pas à notre place !

 

Illustrations: Sentinel-3 © ESA -  CO2M © OHB -  Copernicus © Thales Alenia Space/Briot - MTG © Thales Alenia Space/Master Image Programmes - Portrait de Sandrine Mathieu © Boris Wilensky / Human Value