Anticollision : quand les drones s’insèrent dans le trafic aérien
Novembre 2024 sur une base aérienne en France.
Karen est un peu nerveuse. Bien calée dans le fauteuil de son poste de pilotage elle fait décoller son drone de combat. Ce n’est pas la première fois, mais d’habitude, toute mission se déroule dans un espace aérien ségrégué, un couloir libre de tout autre trafic, réservé, déclaré et autorisé plusieurs jours à l’avance. Aujourd’hui, pour la première fois, elle va pouvoir effectuer un vol vers une zone d’entrainement en s’insérant tout simplement dans le trafic civil.
Un nouveau cadran s’affiche : celui du système d’alerte de trafic et d’évitement de collision, inexistant jusqu’alors. Chaque aéronef pénétrant la zone de détection est représenté. Losanges bleus, ronds jaunes, carrés rouges pour les plus proches. En cas de risque de collision une instruction de manœuvre à effectuer est indiquée pour éviter tout accident.
Ce petit cadran, intégré dans le système de gestion de vol de Karen, résume à lui seul plus de 10 ans de recherches et d’efforts pour adapter les normes, les algorithmes, les matériels et préparer le ciel à l’arrivée massive des drones dans le trafic aérien.
Retour en 2020
Le TCAS, un système anticollision réservé aux gros porteurs
Depuis de nombreuses années, les avions de ligne volent dans des espaces aériens contrôlés ou non, sous la responsabilité des organismes de contrôle, et embarquent tous un système appelé Traffic alert and Collision Avoidance System (TCAS). Lorsque deux avions s’approchent l’un de l’autre, ces équipements permettent à chacun de :
- se signaler et s’identifier auprès de l’autre appareil à l’aide d’un système interrogateur / répondeur,
- recevoir en retour le signal du second avion,
- calculer les instructions pour que les deux appareils effectuent des manœuvres d’évitement complémentaires (si l’un descend l’autre doit monter…).
Mais pour les premières générations de drones de combat équipant les forces armées, difficile d’utiliser un tel système. Le TCAS est très lourd (une dizaine de kilos) et les manœuvres verticales qu’il préconise ne peuvent tout simplement pas être effectuées par des drones, moins rapides et bien plus agiles horizontalement que verticalement. Même si les drones les plus importants utilisent un répondeur doté d’un mode militaire chiffré permettant de faire la différence entre amis et ennemis (Identification Friend/Foe, IFF), cela ne leur permet pas de voler dans un espace aérien dense. Rappelons-le, un pilote de drone n’a pas de contact visuel direct avec l’environnement proche de son appareil…
L’ACAS X : vers un système anticollision universel, adaptable à tous les aéronefs
Premier challenge : il a fallu faire évoluer les normes. A ce titre, le célèbre Massachussetts Institute of Technology (MIT), déjà à l’origine du TCAS travaille depuis plusieurs années sur un nouveau standard, dit ACAS X, fondé sur un nouvel algorithme. Restant 100% compatible et interopérable avec l’ancien TCAS, ce nouveau système est capable :
- de prescrire des manœuvres d’évitement qui tiennent comptent des particularités de chaque type d’aéronefs : avion de ligne, drone, hélicoptère,…
- de prendre en compte des informations provenant non seulement des échanges entre systèmes interrogateur/répondeur, dit « coopératifs » mais aussi de tous types de capteurs embarqués dits « non coopératifs », comme des radars, des caméras, des GPS… Une amélioration qui réduit considérablement le nombre de fausses alertes ou d’instructions inadaptées (lors de vols près du sol par exemple).
En rapport étroit avec le MIT, les experts de Thales se saisissent du nouvel algorithme, lancent l’industrialisation et simulent son utilisation sur plus d’un million de collisions potentielles fournies par Eurocontrol, l’organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne.
Second challenge : la nouvelle fonctionnalité d’anticollision doit être embarquée à bord du drone et ne doit pas augmenter de façon significative sa charge. Par exemple cela peut être intégré dans un équipement existant déjà à bord, et qui a fait ses preuves, ou dans un équipement léger et peu encombrant. Or Thales propose déjà un transpondeur IFF de 2 kilos, le TSC 4000, qui équipe déjà de nombreux drones militaires. A ce jour cet équipement permet aux drones de s’identifier mais n’a pas la capacité d’interroger les transpondeurs des avions de ligne. Les ingénieurs Thales vont réaliser un véritable tour de force : moyennant une simple mise à jour logicielle et l’ajout d’une petite carte électronique, ils parviennent à conférer au TSC 4000 les fonctionnalités d’un interrogateur ACAS et à implémenter l’algorithme ACAS Xu (la variante ACAS X destinée aux drones). Faisant appel à leurs nombreux partenaires industriels, les équipes Thales n’ont plus qu’à tester le concept en vol réel ainsi qu’à assurer l’interopérabilité avec différents radars et boules optroniques dont sont équipés la plupart des drones.
Retour en 2024 : Mission accomplie pour Karen
Depuis sa base aérienne, Karen commence son approche à plus de 100 km de là. Alors que l’altitude décroît progressivement, son système anticollision enclenché, l’algorithme de son ACAS dernière génération prenant en compte la proximité du sol sa manœuvre de descente est entièrement sécurisée.
« Heureusement ! » souffle Karen en dénombrant près d’une quarantaine d’intrus dans l’espace aérien couvert par ses instruments. L’un d’eux passe soudain au rouge. Mais grâce au TSC 4000, la manœuvre d’évitement est automatique.
Le « coucou » est posé et, tandis qu’on le remorque vers son hangar, Karen regarde monter la fumée d’un café bien mérité et se prend à rêver : « et si tous les hélicos, drones et avions civils, militaires, de toutes tailles, bénéficiaient d’un tel système ? »