Pas d'avenir sans maths !
Les emplois d’aujourd’hui et de demain feront de plus en plus appel aux mathématiques ; or le niveau des élèves dans le monde occidental semble en baisse constante. Que peuvent faire les entreprises du monde de la « tech » ?
C’est encore plus vrai aujourd’hui tant les mathématiques sont présentes dans tous les domaines, des marchés financiers à la médecine, en passant par l’aménagement urbain, les transports et, bien évidemment, tout ce qui relève des technologies de l’information. Cette discipline est non seulement au cœur des innovations technologiques qui transforment le visage de la société, mais son enseignement est devenu un puissant moteur de croissance - les pays dont les habitants sont « bons » en mathématiques se porteraient aussi bien mieux sur le plan économique. La Finlande ou la Chine viennent immédiatement à l’esprit avec la corrélation directe qui existe entre l’enseignement des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM) et la création de valeur et de richesse, notamment au sein des start-ups technologiques. Il suffit de croiser les classements PISA* de l’OCDE avec les indicateurs de performance pour constater que le capital de connaissance tire la croissance économique – c’est particulièrement le cas en Asie – qui, à son tour, entraîne le développement humain.
Sur le plan individuel, cette discipline et son usage de la démonstration et de la déduction, enseigne aux élèves à structurer leurs idées, à raisonner, à argumenter – une forme de pensée à laquelle, les occidentaux notamment d’origine latine, souvent dotés d’un esprit cartésien, sont très attachés… Enfin, les mathématiques, de façon plus générale, possèdent une beauté propre, une façon originale et « esthétique » de penser le monde.
Le niveau en baisse dans les pays occidentaux
Et pourtant… alors que les pays occidentaux jouissent d’une grande tradition mathématique (notamment un pays comme la France peut se targuer de détenir le deuxième plus grand nombre de médailles Fields), la dernière enquête PISA montre que les résultats de nos élèves n’ont cessé de se dégrader ces dix dernières années, y compris chez les meilleurs.
Paradoxalement, la mathématisation du monde s’accompagne d’une perte évidente d’intérêt pour cette discipline. Les élèves se disent « nuls en maths » et s’en accommodent : les maths « ce n’est pas cool, ça ne sert à rien dans le monde réel ». Résultat ? 10 % des jeunes Français estiment qu’ils ne peuvent exécuter des activités quotidiennes qui font appel à des chiffres, ce qui est un obstacle majeur pour mener à bien des projets personnels comme créer son entreprise (enquête Cèdre*).
Les conséquences, énormes aujourd’hui… seront gigantesques demain, non seulement parce que les jeunes générations seront la main d’oeuvre de demain, mais aussi parce qu’il est très difficile de modifier la politique éducative – les difficultés vont donc s’accumuler à l’horizon.
C’est pourquoi Cédric Villani, mathématicien, médaillé Fields et aujourd’hui député, a été chargé de rédiger un rapport en France avec le chercheur Charles Torossian sur ce qui peut être fait pour améliorer la culture mathématique des jeunes Français.
Les entreprises ont un rôle éducatif à jouer
Je suis convaincu que les entreprises, surtout celles du secteur technologique, doivent s’impliquer dans la promotion des mathématiques et des sujets connexes (physique, chimie, informatique).
Cela peut vouloir dire prendre leur part à l’éducation – au moins en partie. Un exemple emblématique est bien sûr 42, l’école créée par Xavier Niel pour enseigner la programmation à un grand nombre de jeunes.
Sans aller aussi loin, je suis d’accord avec le rapport Villani-Torossian : nous devons tisser un lien plus fort entre écoles et entreprises privées. Cela peut prendre plusieurs formes, depuis de simples visites jusqu’à des partenariats à long terme. Nous investissons dans tellement de fab labs, d’incubateurs, de pôles de recherche où la technologie la plus pointue règne en maître… Ouvrons-les aux lycéennes et aux lycéens, plus que nous ne le faisons aujourd’hui ; qu’ils fassent des expériences, qu’ils voient ce qu’est la science ! Le bonus serait de rendre l’enseignement moins passif et plus interactif – un des points forts de l’enseignement des maths à Singapour et sa désormais célèbre « méthode de Singapour », pays très bien placé dans l’enquête PISA.
Les étudiants devraient pouvoir interagir avec la technologie – et la technologie peut, à son tour, les aider à apprendre. Le rapport souligne que les ressources de l’IA présentent un énorme potentiel pour aider les étudiants qui piétinent, et aussi les professeurs pour gérer plusieurs niveaux et personnaliser leurs cours. Là aussi, les entreprises peuvent prendre leur part.
Toutes ces questions en soulèvent une plus générale : quel rôle pour les entreprises privées dans la société ? Je pense que la plupart d’entre elles se rendent compte aujourd’hui qu’elles doivent réconcilier leurs impératifs économiques avec les impératifs sociaux, sociétaux, environnementaux… Je serais vraiment heureux si la promotion des mathématiques et des sciences était perçue comme l’un des moyens d’y parvenir. Et je crois que nous devons tous avoir de grandes ambitions dans ce domaine.
Agissons dès maintenant, sans plus attendre, ne baissons pas la garde ! Il est de notre responsabilité de bâtir l’avenir de nos entreprises, de participer à celui des pays dans lesquels nous sommes présents. Galilée avait raison : sans la maîtrise du langage mathématique, notre compréhension du monde ressemblerait à « une errance vaine dans un labyrinthe obscur ».
Par Patrice Caine, Président-Directeur Général du groupe Thales