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Le biomimétisme chez Thales, épisode n° 1 : l'exemple de la thermorégulation

Et si les solutions aux enjeux de notre société se trouvaient dans la nature ? Pour nous en convaincre, observons de plus près la fantastique boîte à outils que constitue notre environnement naturel. À commencer par la régulation thermique : comment maintenir nos corps, équipements et bâtiments à bonne température le plus efficacement possible ?

Wessel Wits, architecte hardware chez Thales, nous montre une petite impression en 3D. L’objet est couvert des sillons et spirales que nous associons habituellement au cerveau humain, mais qui appartiennent en l’occurrence à un corail-cerveau. Ces crêtes et rainures sont loin d’être décoratives ; chaque courbe guide les eaux de l’océan à la surface du corail pour optimiser l’étendue touchée. 

La ventilation d’une termitière

Le corail filtre à travers sa surface l’eau saumâtre de la mer qui contient ses nutriments naturels, les petits organismes comme le zooplancton dont il se nourrit. Sa forme sphéroïdale et sa surface rainurée facilitent la pénétration et la capture de l’eau qui s’attarde dans le dédale coralien, augmentant ainsi les possibilités nutritives. Wessel Wits explique que des systèmes de ce type se retrouvent partout dans la nature. « Les termitières ont un design similaire : leur base comprend des orifices optimisés pour laisser passer l'air frais qui traverse alors un ensemble de conduits semblables à des cheminées, ce qui facilite la ventilation des surfaces et rafraîchit efficacement toute la structure par convection naturelle. »

Wessel Wits, en collaboration avec des partenaires de l’université de Twente et de la société d’ingénierie Optimal Thermal Solutions, a imprimé en 3D plusieurs structures conçues pour reproduire une telle circulation de l’eau et de l’air. L’équipe a utilisé des puits de chaleur en polyamide frittés au laser pour les tests de ventilation et des puits de chaleur en aluminium fondus au laser pour les essais de performance thermique. « Nous avons ainsi démontré que le design naturel assure une thermorégulation d’une extrême  efficacité ! La prochaine étape consistera à optimiser des structures en vue d’une convection forcée. Par exemple, pour pomper du liquide de refroidissement quand on refroidit un radar, ou pour réduire la chaleur d’une surface afin de maintenir l’ensemble d’une structure à une température de base uniforme. »

Wessel Wits et Edwin Plokker

Les trésors cachés de la Museumfabriek

Wessel Wits se penche sur une table où trônent ses impressions en 3D ainsi qu’un véritable corail-cerveau. Ce squelette de calcium fait partie de la collection de la Museumfabriek, le musée d’histoire naturelle d’Enschede, à l’est des Pays-Bas. 

Edwin Plokker, son conservateur, compare pour nous ce spécimen à ses équivalents en matière synthétique ou en aluminium. Il a aussi accepté d’explorer les nombreux cabinets de la réserve, dont les rayonnages maintenus à basse température sont chargés de trésors insoupçonnés, pour en ressortir d’autres exemples de systèmes naturels de thermorégulation intelligente et les examiner avec Wessel Wits. 

Sur la table, il pose ainsi doucement l’un de ses favoris : un magnifique renard polaire empaillé, d’un blanc immaculé. « Le fennec d’Afrique a de grandes oreilles sans pelage ou presque, bien plus grandes que sa tête, qui l’aident à évacuer la chaleur en milieu chaud. Ce renard arctique, habitué à des températures glaciales et à d’épaisses couches de neige, a de petites oreilles au pelage très dense. Dépassant à peine de sa tête, ses oreilles n’entraînent aucune déperdition de chaleur quand il chasse en hiver. C’est tellement intelligent ! »

Les fibres optiques des grands fonds

Le spécimen suivant, qui ressemble à un chapeau de fée, plonge les observateurs dans la perplexité. C’est une éponge de verre, un type particulier d’éponge de haute mer qui construit son propre squelette de façon à piéger un petit crustacé à vie, tous deux vivant alors en symbiose. Ce squelette est fait d’une matière semblable à celle de nos câbles en fibre optique – ceux que nous utilisons pour avoir l’internet haut débit par exemple – mais plus durable. Alors que la fabrication de matériaux en fibres optiques consomme beaucoup d’énergie, ces éponges sont capables d’en créer une version organique dans l’obscurité et le froid des profondeurs. « Ces éponges pourraient nous aider à concevoir des matériaux et réseaux en fibres optiques de meilleure qualité, et des processus plus efficients pour les fabriquer ! »

Apprendre des conditions-cadres

Cela ne vaut pas uniquement pour les animaux, bien sûr. La vie végétale est capable d’une thermorégulation encore plus étonnante. Edwin Plokker nous présente une anémone sylvie séchée, qui fleurit au début du printemps en Europe et en Asie de l’Ouest. Il désigne son centre jaune : « Cette anémone s’ouvre bien plus tôt que la plupart des fleurs, avant que les insectes ne s’activent véritablement. On pourrait penser que cela complique sa pollinisation, mais elle a trouvé la parade. Elle suit comme aucune autre le soleil, dont ses pétales blancs reflètent la lumière vers son cœur. Cela fait rapidement d’elle l’un des points les plus chauds de la forêt qui attire immanquablement les insectes. Les abeilles et toutes sortes d’insectes utilisent ces anémones pour se réchauffer et commencer leur journée, et les pollinisent par inadvertance en en repartant. »

La nature offre une infinité de designs.

Wessel Wits acquiesce et montre les feuilles d’une autre plante séchée dans un cabinet à proximité. « Dans la nature, chaque condition-cadre entraîne une adaptation et un résultat différents. Cela implique pour l’anémone de compenser les contraintes du début du printemps, ou pour un arbre donné de s’adapter à un emplacement très ombrageux. Si tous les arbres d’une même espèce partagent le même ADN, les conditions-cadres dans lesquelles ils poussent influent sur leur aspect, l’orientation de leurs branches, le réseau de leurs feuilles, et ainsi de suite. Aucun corail-cerveau n’est identique – chacun s’adapte à son milieu océanique. Il est capital pour nous, ingénieurs, d’apprendre à identifier ces conditions-cadres et de comprendre comment elles influent sur la conception afin de nous en inspirer : la nature offre une infinité de designs. »