La pandémie de Covid-19 a provoqué un coup de froid d’une brutalité et d’une soudaineté inédites sur l’économie mondiale, allant jusqu’à menacer la survie même de certains « poids lourds » industriels que l’on croyait insubmersibles. D’autres, à l’instar de Thales, résistent et s’adaptent à ce contexte sans précédent. Dans le cadre du Paris Air Forum organisé par le journal La Tribune, Philippe Keryer, directeur général adjoint, Stratégie, Recherche et Technologies de Thales, nous précise quels facteurs expliquent cette résilience du Groupe.
Quel a été l’impact de la pandémie sur Thales ?
Il y a eu deux effets immédiats : le premier lié aux contraintes sanitaires, en particulier au confinement. Nous avons eu recours aux dispositifs à notre disposition, renforcé nos outils informatiques pour permettre à nos équipes, y compris celles d’ingénierie, de travailler le plus efficacement possible et dans les meilleures conditions, etc. Dès le mois d’août, nous avons retrouvé une productivité quasi normale.
L’autre impact, également brutal et soudain, est le coup d’arrêt qui a frappé certaines de nos activités. Ce coup d’arrêt concerne 15 % de notre chiffre d’affaires. Je ne vous étonnerai pas en vous disant que ce sont, avant tout, celles liées à l’aéronautique, à savoir l’avionique et le multimédia de bord. Certaines autres activités ont souffert de manière plus conjoncturelle, comme l’émission des documents de type passeports et les modules de connectivité pour l’Internet des objets.
Cela signifie donc qu’environ 85 % des activités de Thales ont été épargnées par la crise…
Tout à fait. Bien sûr, nous avons dû adapter nos méthodes de travail aux contraintes sanitaires. Les enseignements que nous en avons tirés amènent d’ailleurs des évolutions pérennes, ce que nous appelons le « smart working ». Moyennant ces adaptations, on constate que nos grandes activités liées à la défense, à la sécurité, à la sécurité numérique, au transport terrestre et au spatial ont été relativement épargnées. Globalement, le vaisseau Thales traverse la tempête sans trop subir de dégâts.
Comment expliquez-vous cette résilience ?
Il y a plusieurs facteurs. D’abord, et celui-là n’est pas exclusif à Thales, il y a l’engagement de nos équipes qui n’a pas failli pendant cette période. Elles se sont très vite adaptées aux contraintes de ce contexte inédit, et sont restées constamment aux côtés de nos clients pour les accompagner.
Ensuite, la dualité civil/militaire de nos activités constitue un axe de résilience très fort. Il a été parfois reproché à Thales la diversité, pour ne pas dire l’hétérogénéité, de ses activités. Ce qui se passe actuellement montre que ce reproche, lié à une méconnaissance de ce qu’est véritablement le Groupe, est infondé. On voit bien en effet, comme on avait déjà pu le constater d’ailleurs par le passé, que cette complémentarité qui permet au Groupe d’opérer à la fois sur des marchés à cycle long comme la défense ou le spatial et à cycle plus court comme la sécurité numérique constitue un atout puissant pour traverser les périodes de crise.
On observe également que la crise, pour certaines activités, joue un rôle d’accélérateur. Je pense en particulier à la sécurité numérique. La nécessité d’avoir recours au « distanciel », comme on dit, aussi bien dans notre vie professionnelle (télétravail) que personnelle (commerce, divertissement et démarches administratives en ligne) a suscité des besoins énormes, en termes notamment d’identification, de gestion des accès, de protection des données. Il s’agit là d’une tendance durable qui, soulignons-le, valide pleinement notre acquisition stratégique de Gemalto.
Mais la résilience suppose aussi une grande réactivité de l’organisation et des compétences pour s’adapter à la crise, ce qu’on n’attend pas forcément d’un grand groupe industriel mondial…
Je pourrais vous citer de nombreux exemples illustrant la réactivité dont nos équipes ont fait preuve ces derniers mois pour répondre, la plupart du temps dans l’urgence, aux besoins de nos clients. Cela va de l’aide que nous avons proposée aux hôpitaux de Paris victimes de cyberattaques au début de la crise sanitaire à la production de respirateurs au Royaume-Uni et à l’accompagnement des forces armées françaises dans le déploiement du télétravail à large échelle.
Les équipes de Thales sont d’un très haut niveau de compétence. Près de la moitié de nos collaborateurs exercent des fonctions liées à la R & D, avec un point commun : le développement de systèmes complexes et critiques. Ces compétences, notre organisation permet de les affecter là où le besoin se fait sentir. Par exemple, celles de nos équipes de l’avionique civile, secteur très touché et dans lequel des postes sont impactés - sans que nous prévoyons de licenciements, je le précise -, sont tout à fait adaptées pour travailler sur des programmes de défense.
De même, certaines équipes de nos services numériques impactées par la baisse des commandes ont été réaffectées à des projets internes.
Plus globalement, nous savons mettre, au travers de centres d’ingénierie commun, le savoir-faire de nos équipes affectées par la crise au service d’autres projets du Groupe.
Nous avons aussi su « jouer » de la réorganisation géographique en déportant des projets liés à l’aéronautique de défense sur des sites travaillant d’ordinaire pour l’aéronautique civile. Vous le voyez, même dans un grand groupe, l’organisation peut s’adapter avec souplesse et rapidité.
Notre préoccupation constante a été, et reste, de conserver nos compétences et notre capacité d’innovation. Nous sommes convaincus que nous sortirons de cette crise plus forts en répondant aux grands défis qui nous attendent : les besoins en matière de défense, l’aéronautique « verte », la demande de sécurité numérique, le changement climatique, etc. Autant d’enjeux qui sont au cœur de notre raison d’être. Je crois que le monde a sans doute encore plus besoin de Thales pendant et après la crise qu’avant. Et nous sommes prêts à construire un avenir de confiance auquel nous croyons plus que jamais.